ルソー 「エミール」抜粋
Mais, premièrement, au lieu de les lire on peut les ouïr, et un chant se rend à l’oreille encore plus fidèlement qu’à l’œil. De plus, pour bien savoir la musique, il ne suffit pas de la rendre, il la faut composer, et l’un doit s’apprendre avec l’autre, sans quoi l’on ne la sait jamais bien. Exercez votre petit musicien d’abord à faire des phrases bien régulières, bien cadencées ; ensuite à les lier entre elles par une modulation très simple, enfin à marquer leurs différents rapports par une ponctuation correcte ; ce qui se fait par le bon choix des cadences et des repos. Surtout jamais de chant bizarre, jamais de pathétique ni d’expression. Une mélodie toujours chantante et simple, toujours dérivante des cordes essentielles du ton, et toujours indiquant tellement la basse qu’il la sente et l’accompagne sans peine ; car, pour se former la voix et l’oreille, il ne doit jamais chanter qu’au clavecin.
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Pour mieux marquer les sons, on les articule en les prononçant ; de là l’usage de solfier avec certaines syllabes. Pour distinguer les degrés, il faut donner des noms et à ces degrés et à leurs différents termes fixes ; de là les noms des intervalles, et aussi des lettres de l’alphabet dont on marque les touches du clavier et les notes de la gamme. C et A désignent des sons fixes invariables, toujours rendus par les mêmes touches. Ut et la sont autre chose. Ut est constamment la tonique d’un mode majeur, ou la médiante d’un mode mineur. La est constamment la tonique d’un mode mineur, ou la sixième note d’un mode majeur. Ainsi les lettres marquent les termes immuables des rapports de notre système musical, et les syllabes marquent les termes homologues des rapports semblables en divers tons. Les lettres indiquent les touches du clavier, et les syllabes les degrés du mode. Les musiciens français ont étrangement brouillé ces distinctions ; ils ont confondu le sens des syllabes avec le sens des lettres ; et, doublant inutilement les signes des touches, ils n’en ont point laissé pour exprimer les cordes des tons ; en sorte que pour eux ut et C sont toujours la même chose ; ce qui n’est pas, et ne doit pas être, car alors de quoi servirait C ? Aussi leur manière de solfier est-elle d’une difficulté excessive sans être d’aucune utilité, sans porter aucune idée nette à l’esprit, puisque, par cette méthode, ces deux syllabes ut et mi, par exemple, peuvent également signifier une tierce majeure, mineure, superflue, ou diminuée. Par quelle étrange fatalité le pays du monde où l’on écrit les plus beaux livres sur la musique est-il précisément celui où on l’apprend le plus difficilement ?
Suivons avec notre élève une pratique plus simple et plus claire ; qu’il n’y ait pour lui que deux modes, dont les rapports soient toujours les mêmes et toujours indiqués par les mêmes syllabes. Soit qu’il chante ou qu’il joue d’un instrument, qu’il sache établir son mode sur chacun des douze tons qui peuvent lui servir de base, et que, soit qu’on module en D, en C, en G, etc., le finale soit toujours la ou ut, selon le mode. De cette manière, il vous concevra toujours ; les rapports essentiels du mode pour chanter et jouer juste seront toujours présents à son esprit, son exécution sera plus nette et son progrès plus rapide. Il n’y a rien de plus bizarre que ce que les Français appellent solfier au naturel ; c’est éloigner les idées de la chose pour en substituer d’étrangères qui ne font qu’égarer. Rien n’est plus naturel que de solfier par transposition, lorsque le mode est transposé. Mais c’en est trop sur la musique : enseignez-la comme vous voudrez, pourvu qu’elle ne soit jamais qu’un amusement.
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